ton histoire
Thérapeute : J’aimerai revenir sur un point. La dernière fois, vous m’avez dit que les rapports avec les autres s’étaient révélés parfois compliqués, pourquoi ? Se sont-ils amélioré avec le temps ?
Samuel : Ah ça… Vous savez comment les enfants peuvent être méchants quand ils vous jugent trop différents ? Il suffit que l’un d’eux vous est dans le nez et les autres suivent parce qu’ils ont trop peur que le harcèlement se retourne contre eux. Que leurs propos fassent mal, qu’ils colportent des mensonges, qu’ils tordent la réalité, tout ça, ils s’en fichent, du moment qu’ils ne sont pas la cible. Mon nom de famille ne correspond pas vraiment à mon physique. Mon arrière-grand-mère a quitté le Japon à la fin de la Seconde Guerre mondiale en tant qu’épouse de guerre. Vous savez les fameuses « war brides ». Elle avait à peine dix-huit ans et avait décidé de quitter le pays. Elle a eu trois enfants dont ma grand-mère. Elle est la seule à avoir épousé un Américain, sa sœur et son frère ont préféré se marier à des descendants d’immigrés japonais. Ma mère a elle aussi épousé un Américain, mais mon métissage reste présent. Mes parents se sont séparés quand j’étais bébé et elle s’est remariée plus tard, - je devais avoir quatre ans - avec mon beau-père, Jens Wolanski. Autant dire que quand votre beau-père est Juif Polonais et que vous êtes Japonais-Américain, vous avez le droit à toutes sortes de remarques. Maintenant, tout le monde s’en fiche et même quand j’étais à l’université, mais ça a laissé des traces. Je suis toujours un peu méfiant au début avant de me lier aux gens.
Thérapeute : Et pensez-vous que cet histoire familiale est influencée votre vie ? Votre domaine de spécialité est l’art contemporain japonais…
Samuel : Je ne vais pas le nier. A un moment, j’avais besoin de connaître davantage mes racines. Ça m’a permis de mieux avancer, en tout cas plus sereinement, et de savoir qui j’étais. Du côté maternel, une partie des anciens parle le japonais, lit les journaux ou regarde les films dans cet langue. Ce n’est pas très agréable de se sentir exclu dans sa propre famille. Heureusement, j’ai toujours eu d’excellentes relations avec mon beau-père et mon demi-frère, Adam. Il était toujours là quand j’avais besoin de parler ou de protection. Il y a des moments où on ose pas se confier à ses parents, et je me tourne toujours vers lui dans ces moments-là.
Thérapeute : Même lorsque vous avez eu des soucis avec vos compagnons ?
Samuel : C’est pas facile de dire « Hey, maman, mon ex me stalke. » Encore plus quand vous êtes à l’autre bout du pays et que votre emploi du temps est occupé avec les cours et un petit job. En plus, elle m’aurait dit « Quelle idée tu as eu de faire du mannequinat ! C’était évident que tu allais tomber sur un tel timbré dans ce milieu. » Je la connais, et oui, je préférais me confier à Adam. Il m’a aussi donné quelques conseils, mais je finis qu’avec des types à problèmes.
Thérapeute : Pourquoi ce choix ?
Samuel : Je ne le choisis pas vraiment. Enfin, peut-être qu’à une certaine époque, je ne m’en rendais pas compte ou je me voilais la face. Depuis que je vis avec Adam, ça s’est calmé. Je prends davantage conscience des soucis avant de me lancer.
Thérapeute : Cela fait longtemps que votre demi-frère et vous vivez ensemble ?
Samuel : Un peu plus d’un an. On a commencé une colocation pour une question financière et puis au final, la situation nous convient à tous les deux.
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Thérapeute : Vous m’aviez parlé de votre rapport à la nourriture dans une séance précédente, s’est-il modifié avec le temps ?
Samuel : Oui, j’ai souffert d’un trouble alimentaire pendant quasiment cinq ans. Ça correspond à ma période de mannequinat. Je mangeais dès que j’avais des bouffées d’angoisse, que je me sentais triste puis je me faisais vomir parce que la culpabilité me rattrapait. Ça s’est apaisé lors de mon année au Japon. J’ai gagné confiance en moi et le vide a disparu, j’arrivais à voir ma vie différemment… Mais mon rapport avec la nourriture reste compliqué. Je ne mange pas de plats en sauce et l’odeur de la friture me donne souvent des nausées. Je ne vais pas dire que je suis végétarien parce que c’est faux, par contre, je choisis des plats de différents pays qui correspondent davantage à mes goûts. Généralement plutôt ceux du Sud-Est Asiatique.
Thérapeute : Avez-vous peur que votre corps change ou est-ce une question de santé ?
Samuel : Les deux, je crois. J’ai gardé une certaine image de ce que doit être mon corps et puis avec toutes les saloperies chimiques qu’ils mettent dans les aliments maintenant… Et puis, ça correspond aussi à un certain idéal de vie. Je peux avoir des horaires assez irréguliers ou des semaines intenses. Manger correctement et sainement m’aide à remettre un peu d’équilibre.
Thérapeute : Vous êtes assistant de commissaire-priseur, c’est bien ça ?
Samuel : Oui, j’ai étudié sur le campus de Christie’s Education à New York. J’avais déjà commencé des études d’histoire de l’art, j’ai complété avec une formation en droit avant de postuler.
Thérapeute : On peut dire que vous êtes quelqu’un de déterminé quand même.
Samuel : Ah ça, quand j’ai un projet en tête, je ne l’abandonne pas facilement.